Industrie Kpop – rêves et revers

L’industrie musicale de la Kpop ne s’est jamais aussi bien portée. Les chiffres sont parlants. Des records ont été établis dès la première moitié de l’année 2018 par le groupe BTS : durant les six premiers jours où la précommande de leur nouvel album “Tears” a été ouverte en Corée, 1.44 millions d’albums ont été vendus. 135 000 albums vendus aux USA entre le 18 mai et la fin mai, dont 100 000 en vente normale, hors téléchargements. Des résultats jamais atteints par des artistes non anglophones. 

BTS n’est pas le seul groupe à exporter la culture Kpop à l’étranger. Le girlsband BlackPink devrait bientôt faire ses débuts aux USA, ouvrant la voie à d’autres groupes coréens à l’international.

Les maisons de disques coréennes ont bien compris les besoins du marché. Alors que les boys et girls bands ne sont plus à la mode en Occident depuis les années 90, ce type de divertissement explose au Pays du Matin Calme. La différence vient du fait que les groupes de production n’apportent pas seulement des jeunes chanteurs au look adolescent et coloré. Ces artistes sont soumis à une sélection difficile dans les agences artistiques et suivent des formations multiples. Les idols sont ainsi capables de chanter, danser, jouer la comédie, parler plusieurs langues ou servir d’égéries pour des marques cosmétiques, mode ou produits marketing en tous genres – tel que BTS, nouveau visage de Coca Cola durant la Coupe du Monde 2018, égérie Puma, Vans ou LG…

Pour atteindre un tel niveau de réussite et de célébrité, la route est longue et difficile.
Une fois au top, il faut continuer à suivre des règles qui défient parfois l’entendement commun. Le suicide du chanteur Kim Jong-Hyun du groupe SHINee, en décembre 2017, a levé le voile sur un aspect de l’industrie encore très méconnu par les fans.
Les artistes vivent selon des lignes de conduite très contraignantes. Les contrats qui lient les artistes à leurs agences et maisons de production appelés “slave-contracts” montrent que sous le vernis, tout n’est pas si rose.

Tout d’abord, les trainees – stagiaires – devront très souvent abandonner leurs études par manque de temps. En effet, leurs formations dans les écoles préparatoires comprennent entre 10 et 12h d’entraînement par jour, et prennent entre 6 mois à 1 an pour les plus chanceux. C’est là le moindre mal, car certaines formations peuvent prendre jusqu’à 10 ans, comme pour G-Dragon, la plus longue ayant été de 15 ans pour G.Soul avec JYP Entertainment.
Par ailleurs, les trainees durant ces périodes ne reçoivent aucun salaire – certaines agences avec qui ils ont signé des contrats accordent parfois des indemnités hebdomadaires, l’argent gagné ensuite au début de leur carrière étant perçu pour rembourser la formation et tous frais inhérents (nourriture, logement etc…).

Sachant qu’une formation peut coûter environ 30 000€/mois et que la programmation d’un groupe dans une émission TV telle que Music Bank diffusée sur KBS2 peut coûter près de 77 000€/mois… il faut connaître le succès ou la dette peut s’avérer problématique.
Si la réussite est au rendez-vous, c’est au prix de nombreux sacrifices.

A côté des conditions financières instables qu’ils rencontrent à leurs débuts, les artistes sont liés à leurs agences pour des périodes parfois longues – jusqu’à 7 ans. Beaucoup se voient ainsi forcés de renouveler leurs contrats sous peine de payer des pénalités exorbitantes: selon la Korea Fair Trade Commission, “FTC”, des agences comme JYP, Cube ou DSP forceraient les artistes qui ne veulent pas renouveler à leur payer deux fois la somme qu’elles ont pu investir.
A l’inverse, les employeurs arrivent à renvoyer leurs protégés sur la base de clauses ambigües quand ces derniers n’auraient pas respecté les règles de vie imposées ou se seraient comportés de manière déplacée – prise de poids, consommation d’alcool ou de cigarette, fréquentation de night-clubs, protocole média non respecté…
Malgré ces excès constatés par la FTC et la remise en cause de ces clauses depuis 2013, on peut déplorer que de très nombreux groupes vivent toujours en vase clos, ce qui à l’heure actuelle, surtout dans un pays ultra-connecté comme la Corée du Sud, peut paraître invraisemblable. En fonction des agences, interdictions de téléphones portables, de relations amoureuses… Dans ce contexte, il est évident qu’il n’est pas permis aux idols de fraterniser avec les stars de maisons de production concurrentes. Les membres d’un groupe n’ont droit à aucune vie privée au point que les agences font très attention au staff qu’ils emploient. Certains personnels entourant de près les artistes doivent ainsi être mariés pour ne pas provoquer de tentation auprès des idols. Ces staffs subviennent à tous leurs besoins et empêchent tout processus de socialisation. Un membre du groupe Jewelry en témoignait il y a quelques années dans un tweet :

Une ancienne trainee de SM Entertainement déclarait en 2015 à NBC News :

Le plus difficile était en fait quand je me regardais et ressentais que je ne grandissais pas.

Les artistes sont souvent isolés depuis un très jeune âge et soutiennent de grosses pressions – physiques et morales, de la part de leurs agences. Fatigués, blessés, the show must go on. G-Dragon de Big-Bang chute alors qu’il est sur scène ; SinB de Gfriend se déboîte l’épaule en dansant… mais ces artistes continuent leurs performances live… Minho de SHINee aurait quant à lui dormi 48h d’affilé chez un ami après avoir obtenu un congé. Congés difficiles à obtenir, selon Daniel Kang des Wanna One, en raison de plannings très chargés:

avant mes débuts, je me levais habituellement à 4h ou 5h du matin… m’entrainais jusqu’à 2h ou 3h du matin du jour suivant.

Autre problème. On savait déjà depuis le 28 avril 2010 par le Korea Joongang Daily que 60% des actrices en Corée du Sud subissent des pressions et harcèlements sexuels de leurs managers avant d’obtenir des rôles. Il est aussi demandé à 72% des futures actrices de faire un régime, et 58% d’entre elles sont forcées par leurs agents d’effectuer une opération chirurgicale.
L’industrie de la Kpop n’est pas épargnée puisque depuis le passage de la chanteuse Kim So-Hee du groupe IBI dans le show “Idol Drama Operation Teams” (chaîne KBS) en mai 2017, cette dernière a révélé subir ce même genre de pressions sexuelles. La prostitution, appelée dans le milieu transaction ou sponsorship est de plus en plus pointée du doigt…

Kim So-Hee – Idol Drama Operation Teams

Les suicides d’autres personnalités telles que U;Nee ou Anh So-Jin – trainee du groupe KARA, chez DSP Media, témoignent de cet état de fait, brutal et concurrentiel pouvant briser la personnalité des artistes. Ces derniers doivent représenter un modèle de perfection, pour qui les fans sont prêts à débourser des sommes astronomiques.

Pour conserver cet aspect – trop –  lisse, la recette est simple : l’oubli de soi avec des idols éternellement célibataires, des styles vestimentaires juvéniles, une hygiène de vie drastique et un passage souvent obligatoire par la case chirurgie.
L’attrait physique des stars coréennes est d’ailleurs un sujet à part entière, puisqu’on touche à un vrai phénomène de société : 1 femme sur 3 a eu recours à une opération entre 19 et 29 ans. Une des opérations les plus basiques est la correction ophtalmique pour les trainees portant des lunettes de vue avant la signature de leur contrat. Mais les contraintes vont bien au-delà. Les agents exigent le plus souvent de leurs protégés qu’ils/elles retouchent leurs nez, mâchoires, yeux et tailles.
Il faut bien comprendre que c’est le système tout entier qui impose ces pressions aux personnalités, considérées comme des produits marketing. Selon le commentateur Kim Seong-Soo,

Notre pays présente une forme extrême du système où le gagnant remporte tout, et où ceux qui échouent ne peuvent pratiquement pas faire de come-back ou survivre.

Dans ce constant besoin de perfection, les agences font peu de cas des envies personnelles des artistes. L’industrie Kpop est avant tout un business dont les codes reflètent encore beaucoup l’état d’esprit de tout un pays. L’individualisme n’existe pas : les artistes font partie de groupes qui, plus que les membres, possèdent une identité créée et contrôlée par les agences qui investissent.  Ils sont les chevaux de course de puissantes écuries. L’investissement justifie-t-il cependant de porter atteinte aux libertés et droits des personnes ? Les dossiers que peuvent déposer les personnalités auprès des Tribunaux et le succès international de certains groupes coréens – de plus en plus présents sur les réseaux sociaux – vont peut-être libérer les artistes de ces chaînes. Les agences pourront-elles faire face à la médiatisation internationale de leurs stars sans être confrontées à la critique et à la remise en cause de leur management ?

 

 

Sources
NBC News
Twitter
KBS
The Citizen
The Star Online
Images
allkpop.com, twitter
Cover image: BonjourCorée







 

One Reply to “Industrie Kpop – rêves et revers”

  1. Bonjour,
    Je viens de lire le déroulement de la vie des jeunes artistes coréen je suis glacée d’effroi de cette domination de l’être humain!, c’est inadmissible de briser la personnalité d’un individu soit disant pour des codes de mode etc…alors qu’avec les défauts et nos imperfections font de nous une personne vrai et à part entière. Avec leur ambition et leur courage ils seraient bien meilleurs acteurs et non des copiés/collés et le business n’en souffrirait pas financièrement. Cordialement M.LOU

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