Comme nous l’apprend la préface, l’idée de ce livre a émergé à l’aube d’une question : Pourquoi tous les habitants de la Maison Bleue* (청와대) semblent-ils être frappés par le malheur ? Et si tout cela venait d’une intrigue géomantique se déroulant durant la colonisation japonaise (1910-1945) ?
C’est du moins la réponse fictionnelle de l’auteure Kim Da Eun (김다은), Docteure en Lettres à Paris 8, professeure à l’Université des Arts Chugye (추계예술대학교) et écrivaine émérite qui a remporté le concours du journal Kukmin Ilbo (국민일보) pour Le Pays qui te ressemble.
Nous commençons le roman en 1920, lorsqu’un nouveau gouverneur-général de Corée est intronisé suite au soulèvement du 1er mars (sur lequel nous avons également écrit ici). Mais cela ne dure que le temps du prologue et très vite, nous sommes amenés en 1926, suite à une seconde révolte plus mineure, où se déroulera la grande majorité de l’histoire.
C’est à ce moment que nous sommes confrontés à toute une panoplie très riche de personnages. Cet éventail large ne se prive pas, par exemple, de montrer des Japonais comme des Coréens, des collaborateurs au même titre que des combattants pour l’indépendance. Les deux personnages les plus importants sont sans nul doute le géomancien Kim, Coréen tiraillé qu’on mandate pour trouver le lieu où construire la nouvelle résidence du Japonais, gouverneur-général ; et ce dernier qui émet l’ordre, obsédé par le concept de la vie et l’idée de sa propre grandeur. Au vu des dates, on pourrait penser que le gouverneur en question est sans doute Saitō Makoto, le troisième à porter le titre. Toutefois, plus qu’aucun autre personnage, il est fait le choix de l’anonymiser pour mieux le transformer en objet fictionnel.
Cependant, ils sont loins d’être les seuls personnages à être des personnages important et l’auteure joue habilement avec l’alternance des perspectives pour construire le puzzle qu’est son roman. Les autres points de vue mis en avant sont ceux de Sakoru Jiba et Kakeno, des espions qui se chargent l’un des gisaengs** et l’autre des chamanes en Corée. Ils sont en compétition pour atteindre le même but. Il y a également et surtout Haruki, parallèle japonais du géomancien Kim et chef de la section culturelle du gouvernement colonial, que l’on charge de retrouver les jarres du placenta royal. Mais celui-là se trouve dérouté par une mystérieuse femme. Tous ces membres du corps institutionnel japonais influencent à leur manière la quête du gouverneur.
Il ne faut pas non plus oublier Serin, interprète coréenne d’un foyer missionnaire catholique et seule femme dont le point de vue est montré. Au fur et à mesure qu’on apprend à connaître la géomancie et à y découvrir l’importance du corps de la femme, elle devient une des clés du livre alors qu’elle semblait la moins reliée à l’intrigue principale initialement.
En parlant de la géomancie coréenne, ou pungsu (풍수), l’un des atouts du livre est bien de nous dévoiler cette technique à nous, le grand public, la plupart du temps ignorant de cette science. D’une certaine manière, Il s’agit d’une forme de vulgarisation par le biais de la fiction. C’est en suivant ces préceptes que Séoul (서울) a été construite et, de la même manière, que le colonisateur japonais tente de s’approprier totalement le territoire.
Puisque la géomancie est la manière dont les espaces sont organisés, il n’est guère étonnant que les lieux aient leur importance et deviennent à leur tour des personnages du roman. Le plus grand d’entre eux, le centre de l’intrigue, est sans surprise un palais, Gyeongbokgung (경복궁), sur les terres duquel la nouvelle résidence doit être construite. Le jardin interdit, qui donne son nom au livre, est l’endroit favorable choisi en bordure de Gyeongbokgung par le géomancien Kim selon les règles de son art, et qui sera plus tard le lieu de la Maison Bleue. Néanmoins… Est-ce un choix patriotique ? Quels sont les éléments extérieurs qui l’y ont poussé ? Que représente fondamentalement cet espace ? Vous devez lire Le Jardin Interdit pour le savoir.
Au fil des pages, nous tombons sur plusieurs croquis et photos qui nous permettent de visualiser les lieux ou alors de mieux comprendre la géomancie. Cela est d’autant plus important lorsqu’on sait la place qu’occupe l’espace dans l’oeuvre. Ils peuvent être intradiégétiques (NDLR : situé à l’intérieur de la narration et montré par un personnage par exemple) comme extradiégétiques (NDLR : situé hors de la narration et rajouté par l’auteur pour des soucis de compréhension).
C’est donc une lecture intéressante avec laquelle on apprend plein de choses sur des éléments insoupçonnés de la culture coréenne. Cela plaira sûrement aux amateurs de lecture historique et de Corée. Toutefois, elle se révèle parfois complexe et fait mention d’éléments crus, ce qui a pour résultat de la rendre difficile à aborder pour les plus jeunes.
Nous remercions l’éditeur l’Atelier Des Cahiers pour nous avoir permis d’obtenir une copie du livre. Le roman est sorti en France le 22 octobre et est dès à présent disponible dans les librairies et en ligne si vous souhaitez l’offrir comme cadeau.
*Surnom donné à la résidence et au bureau du président de Corée du Sud
**Courtisanes et artistes coréennes au statut social peu élevé
Anaëlle P.