Il y a 40 ans… le soulèvement de Gwangju

Certains événements marquent au fer rouge l’histoire d’une démocratie. Lorsqu’il s’agit de la France, nous pensons à la prise de la Bastille (14 juillet 1789) ou la Commune de Paris (18 mars au 28 mai 1871). Pour la Corée du Sud, le Soulèvement de Gwangju (광주 민주화 운동) en 1980 revient inévitablement en mémoire. Le 18 mai, nous fêterons le triste quarantième anniversaire de cette révolte populaire, étudiante et syndicale.

Pour expliquer la chronologie des faits, il faut remonter à l’année précédente. Plus précisément au 29 octobre 1979, jour de l’assassinat du président Park Chung Hee (박정희). Chef d’état de 1962 jusqu’à sa mort, ainsi que père de la présidente destituée Park Geun Hye (박근혜), il a établi un régime autoritaire et répressif suite à son coup d’état en 1961. Néanmoins, il a aussi permis à la Corée de se hisser parmi les 20 pays les plus riches du monde. Son décès va amener une véritable instabilité politique en Corée. En réaction à cela, on peut noter que la loi martiale, qui entraîne la fermeture d’universités, l’interdiction des activités politiques et qui accentue la censure de la presse, est alors instaurée. Son successeur et premier ministre, Choi Kyu Ha (최규하), ne restera au pouvoir que quelques mois avant de se faire renverser par un autre coup d’état, celui du général Chun Doo Hwan (전두환), le 12 décembre.

Début mai 1980, les mouvements démocratiques présents dans les université commencèrent à s’intensifier. Ils se révoltaient en particulier contre la loi martiale, ce qui aboutit à une protestation de plus de 100 000 personnes à la Gare de Séoul le 15 mai. En réaction, Chun Doo Hwan renforça la loi martiale le 17 mai et envoya des troupes militaires dans toute la Corée, et en particulier dans le Jeolla du Sud (전라남도) dont la capitale est Gwangju. Cette région avait historiquement été délaissée par Park Chung Hee en faveur de sa région d’origine, le Gyeongsang (경상도), et était donc devenue un foyer de l’opposition. 26 politiciens qui venaient de cette région furent également arrêtés.

Nous arrivons donc au matin du 18 mai… Des étudiants se sont réunis devant l’université nationale de Chonnam (전남대학교) pour protester contre la fermeture. Des premiers échanges animés ont lieu avec la police et le conflit s’étend progressivement à toute la ville. Plus de 2000 manifestants sont présents dans l’après-midi. À 16 heures, l’armée arrive et c’est alors que commence la phase violente de la répression. Les participants comme les passants se font matraquer au cours de cette dernière.

En conséquence, la colère des habitants grandit et le nombre de contestataires augmente pour atteindre 10 000 le 20 mai. Durant la nuit, des milliers de taxis, bus, camions et voitures viennent se joindre aux manifestations dans une procession vers le Bureau provincial. La station émettrice de KBS, qui appartenait au réseau du gouvernement, est également occupée.

C’est l’escalade, les forces de l’ordre commencent à tirer sur les civils et font un nombre important de morts, notamment autour de la gare de Gwangju, le 20, et du Bureau provincial précédemment mentionné, le 21. En s’emparant d’armes, les civils arrivent à faire reculer pour un laps de temps les forces de l’ordre mais se retrouvent isolés.

Du 22 au 25 mai, les protestations se propagent dans toute la région, dans des villes comme Mokpo (목포시) ou Haenam (해남군), mais elles se retrouvent rapidement réprimées par l’armée et les routes sont bloquées. Le 27, le gouvernement réussit finalement à canaliser la capitale du sud-ouest.

Selon les chiffres donnés par Chung Kun Sik (정근식), professeur à l’université de Chonnam, il y aurait eu 165 morts, 75 disparus et 3515 blessés du côté des manifestants, pour 41 morts et 253 blessés du côté des forces de l’ordre (soldats et militaires). Pour les associations de défense des droits de l’homme, il pourrait toutefois y en avoir des milliers.

Malgré cette hécatombe, il faudra attendre 1988 pour que le gouvernement reconnaisse le massacre et mette en place des auditions, puis 1995 pour les premiers procès. Huit hommes, dont Chun Doo Hwan et son successeur Roh Tae Woo (노태우), sont condamnés en 1997 pour les faits, puis finalement graciés par le président qui les suit, Kim Young Sam (김영삼), sous prétexte de préserver la paix nationale.

 

De nos jours, il est indéniable que les générations qui ont en main les rênes du pays se rappellent du soulèvement de Gwangju. Kim Dae Jung (김대중) qui fut le huitième président de la République de Corée de 1998 à 2003, avait d’ailleurs pour fief la ville. En tant que principal opposant politique du régime de Chun Doo Hwan, il fut même condamné à mort après les faits en 1980, avant que sa sentence soit commuée en exil grâce à l’intervention des Etats-Unis.

Par conséquent, un nombre très important de films, livres et mêmes chansons se sont inspirés des faits dans leur processus créatif. Sur le plan des romans, on peut parler des deux immenses classiques de la littérature coréenne que sont Là-bas, sans bruit, tombe un pétale (저기 소리없이 한 점 꽃잎이 지고) de Choe Yun (최윤), paru en 1988 en Corée, et Le Vieux Jardin (오래된 정원) écrit par Hwang Sok Yong (황석영) et publié en 2000. Plus tard, Shin Kyung Sook (신경숙) a elle aussi fait sa part sur le sujet en 2010 avec I’ll be right there (어디선가 나를 찾는 전화벨이 울리고), ainsi que la sensation littéraire Han Kang (한강) avec Celui qui revient (소년이 온다) en 2014.

Les plus vieux livres ont obtenu une adaptation cinématographique, soit A Petal (꽃잎) de Jang Sun Woo (장선우) en 1996 et Le Vieux Jardin de Im Sang Soo (임상수) en 2006. En 2007, May 18 (화려한 휴가) de Kim Ji Hoon (김지훈) se déroule également durant les évènements. Plus récemment, en 2012, les conséquences de la révolte sont montrées dans 26 years (26년), adapté du webtoon de Kang Full (강풀) et mis en scène par Cho Geun Hyun (조근현), et de A Taxi Driver (택시운전사) réalisé par Jang Hoon (장훈) en 2017. On peut retrouver les bandes annonces (à l’exception de A Petal) ci-dessous :

Au niveau des séries, on peut parler de l’immense succès Sandglass (모래시계) diffusé en 1995 avec un taux d’audience de 64,5 %. En 2005, 5th Republic (제5공화국), qui se penche sur la présidence de Chun Doo Hwan, met également en scène le soulèvement.

En comparaison, la thématique a inspiré la scène musicale de manière assez tardive. Au delà des chants révolutionnaires créés pendant le conflit, comme la Chanson de mai (오월의 노래) inspirée de Qui a tué grand-maman ? de Michel Polnareff, et la Marche pour les biens-aimés (임을 위한 행진곡), on ne retrouve qu’assez peu de traces. En 2013, dans la version longue du clip de That’s my fault (슬픈약속) par le boys-band SPEED (스피드), on peut clairement voir que le soulèvement de Gwangju sert de décors, mais les événements n’ont pas d’impacts sur les paroles de la chanson. Au contraire, dans Sogyeokdong (소격동), titre de SeoTaiji (서태지) en collaboration avec IU (아이유), le chanteur se remémore ses souvenirs et sentiments lors de ces quelques jours qui ont eu lieu durant son enfance.

En 1997, un cimetière a été érigé pour les victimes à Gwangju et déclaré cimetière national en 2002. Si vous passez par Gwangju et que vous voulez honorer ce symbole de la lutte pour la démocratie, prenez le temps de vous y recueillir.

Anaëlle P.

CRÉDITS PHOTOS : Office du tourisme coréen ; May 18 Memorial Foundation ; Korean Broadcasting System (KBS) ; Munhwa Broadcasting Corporation (MBC)

2 Replies to “Il y a 40 ans… le soulèvement de Gwangju”

  1. J’aimerais entendre la chanson sud coréenne des mouvements étudiants et syndicalistes de Mai 1980 inspirée de la musique de Michel Polnareff. Merci.

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