Chronique du 19e Festival du film coréen à Paris

Pour sa 19ᵉ édition, le Festival du Film Coréen (FFCP) est revenu poser ses valises Publicis Cinémas du 29 octobre au 5 novembre avec une programmation encore une fois haute en couleur, avec toute une panoplie de films, documentaires, courts-métrages et autres rencontres avec des acteurs du cinéma coréen. De la comédie à l’horreur en passant par du politique ou poétique, chacun peut y trouver son bonheur. De notre côté, ce sont dix films que nous avons choisis, pas seulement parce qu’ils nous intéressent, mais aussi parce qu’il rentre dans un planning habillement organisé. 

De l’ouverture à la clôture, nous avons assisté à 10 projections qui ne représentent qu’une goutte d’eau parmi les multiples facettes du festival, nous ont transporté et fait passer par toutes nos émotions. Ces films ne sont d’ailleurs qu’une partie de ceux diffusés durant toute la semaine. 

Le mardi 29 octobre, c’est le premier long métrage de Nam Dong-hyub (남동협), Handsome Guys (핸섬가이즈),  qui a lancé les hostilités, dans une ambiance chaleureuse venant remplacer le brouillard et l’humidité croisés à l’extérieur du cinéma, sur les Champs-Élysées. Cette comédie horrifique a ravi le public et on se doute que le réalisateur présent lors de la projection était plus qu’heureux d’entendre de telles réactions, plus enthousiastes les unes que les autres.  Avec une chèvre maléfique qui mène la danse, les deux protagonistes, Jae-pil 재필 (이성민, Lee Seong-Min) et Sang-gu 상구 (이희준, Lee Hee-joon) se battent pour arriver à bout de ce monstre qui vient troubler leur installation au beau milieu de la campagne. Entre un exorcisme, une vieille légende et la bible, chacun trouve sa place pour créer un film équilibré, qui n’a jamais effrayé son public, mais qui l’a fait rire à gorge déployée. Les dialogues aussi tranchants que les multiples couteaux du film ont facilement conquis le public du FFCP qui n’a pas vu passer le temps devant ce remake plus que réussi du film Tucker&Dale. 

Le lendemain, la froideur de la fameuse avenue parisienne nous a une nouvelle fois accueillie pour le plus long des films projetés au FFCP cette année. Avec son titre énigmatique, mais symbolique, At the end of the film (이 영화의 끝에서) de Ahn Sun-Kyung (안선경) est un film résolument déstabilisant et surprenant qui prend presque une tournure autobiographique. On y suit un réalisateur torturé et tourmenté qui essaie tant bien que mal de finir son film en faisant face aux difficultés de l’industrie du film indépendant coréen. La réalisatrice, au travers de son personnage principal, nous parle alors peut-être de sa propre histoire, elle qui traverse ce monde depuis près de 20 ans déjà. Avec une musique enivrante et hypnotique produite par Kim Hanjoo (김한주), membre du groupe de rock Silica Gel (실리카겔), les trois heures de film nous embarquent dans une histoire sombre qui touche une multitude de sujets, mais notamment la passion, la possible mort de cette dernière et l’inspiration qui arrive lorsque l’on est au plus bas.  Cette œuvre est sans aucun doute singulière dans la programmation du FFCP. Elle mérite cependant d’être vue pour sa superbe belle photographie, notamment lors du second acte qui nous transporte au fin fond de la forêt et des montagnes, créant un monde à la frontière entre le rêve et la réalité. S’il est difficile d’avoir un avis définitif sur ce film, il reste ancré dans les têtes pendant longtemps. Même lorsque l’on retourne au cinéma le lendemain.

Après deux premiers jours étonnants, c’est au tour de Lesson (레슨) de Kim Kyung-rae (김경래) d’entrer en piste pour nous faire la leçon sur les liaisons dangereuses et les amours toxiques. Avec une mise en scène ingénieuse jouant sur la répétition des dialogues, on suit un professeur d’anglais qui tombe sous le charme de sa professeure de piano. Alors que lui trompe sa petite amie sans jamais se préoccuper de ses sentiments tout en s’attachant à la pianiste, elle récite habilement ses gammes. Petit à petit, on comprend que la professeure qui a divorcé d’un homme étouffant se joue des hommes comme eux peuvent se jouer des femmes. Si le film manque parfois de tension, la mise en scène qui se joint à des dialogues courts, mais tranchants permet de rester captivé jusqu’à la fin. 

Si le festival aime nous surprendre avec ses films, il y parvient aussi souvent avec ses documentaires, et c’était le cas pour The Voice of the Silenced (되살아나는 목소리), réalisé par Park Soo-nam (박수남) et Park Maeui (박마의), respectivement mère et fille. Cette œuvre autobiographique se concentre sur l’histoire des Zainichi (在, 재일 한국인), les coréens déportés durant la colonisation japonaise. Cette œuvre mérite, sans doute, un article à elle seule grâce à sa richesse, son traitement d’une histoire encore douloureuse et contestée avec la recrudescence du négationnisme et de la xénophobie. Les images d’archives, les lieux abandonnés et les témoignages permettent de comprendre l’ampleur des rouages de l’empire japonais et de sa violence. La salle qui était comble pour cette seconde projection a été envahie par l’émotion, et sans aucun doute touché par le combat d’une mère, d’une fille et d’une communauté entière qui lutte encore aujourd’hui pour obtenir justice. 

La justice, c’est justement le thème de Citizen of a kind (시민덕희), film de Park Young-ju (박영주) qui a remporté le prix du public de cette 19ᵉ édition du FFCP. Cette comédie dramatique portée par Ra Mi-ran (라미란) nous fait le récit d’une mère de famille qui travaille dans un pressing se faisant arnaquer par une banque. Suite à ce phishing téléphonique, elle se retrouve sans rien et la police refuse de l’aider, elle va donc essayer de récupérer son argent elle-même et au passage permettre le démantèlement d’un réseau d’arnaqueurs en Chine où son enquête va la mener. Comme on peut s’en douter, tout le monde a été conquis par ce film qui est tiré d’une histoire vraie et porté à merveille par l’actrice qui a eu son premier rôle sur grand écran dans Lady Vengeance (친절한 금자씨) de Park Chan-Wook (박찬욱) en 2005. 

Si l’action est ce qui nous porte pendant les deux heures de Citizen of a Kind, le long-métrage de Kim Tae-yang (김태양), Mimang (미망) que l’on peut traduire par illusion ou un sentiment de confusion nous emmène dans les rues de Séoul, au rythme de la pluie. On y suit deux anciens amoureux se retrouvant par hasard et revenant sur leurs souvenirs, presque comme une fresque qui se dessine doucement où l’on peut associer la pluie et l’eau qui s’écoule sans cesse au passage du temps. Non sans rappeler le film de Céline Song, Past Lives (2023), cette histoire nous parle de rendez-vous manqués et nous laisse imaginer ce que la vie aurait pu être si tout avait été différent. Un titre approprié face à des personnages qui marchent et essaient lentement de toucher un temps illusoire qu’ils ne retrouveront jamais. 

Dans un registre différent avec son réalisme brut, Concerning my Daughter (딸에 대하여) de Lee Mirang (이미랑) qui est venu adapter le livre du même titre de Kim Hye-jin (김혜진), ne laisse pas de place au romantisme ou à l’imagination. On y suit une mère travaillant en maison de retraite et confrontée à la violence structurelle et sociétale envers les personnes âgées qui sont délaissées. Si elle parvient à faire preuve d’empathie et souhaite lutter pour offrir une meilleure vie à ceux qu’elle accompagne, elle ne parvient pas à faire preuve des mêmes sentiments pour sa fille lesbienne et sa conjointe qui emménagent chez elle, alors ce qu’elles n’ont plus d’autre option pour se loger. On suit alors cette mère et ses émotions, face à sa fille qui lutte pour une meilleure acceptation dans une société coréenne profondément homophobe. Si l’histoire n’offre jamais vraiment de réponse, on peut entrevoir de l’espoir, au moins pour une mère et sa fille. 

L’homophobie, c’est aussi ce qui anime, en partie, le scénario de Lucky Apartment (럭키, 아파트) de Kangyu Ga-Ram (강유가람). On y suit Seon-woo et Hee-seo, un couple de lesbiennes qui viennent d’acheter leur appartement et qui finissent par découvrir que la personne âgée vivant dans celui du dessous est décédée.  Si l’histoire ressemble plutôt à un thriller, c’est avant tout une fresque sociétale que la réalisatrice dépeint à travers son histoire en montrant l’aspect presque sacré d’avoir son propre appartement, mais aussi la violence que peuvent subir les personnes aux marges de la société que ce soit les personnes âgées et les couples queers. L’histoire de Seon-woo et Hee-seo résonne alors avec celle de la défunte, Seon-woo se bat alors pour elle, pour lui offrir de la dignité tout en luttant contre un voisinage et un entourage hostile. Les multiples strates du film permettent de créer une fresque particulièrement juste, émouvante et nécessaire à l’heure où l’on se bat encore pour la reconnaissance des couples homosexuelles. 

Si la justice sociale est un thème récurrent dans le 7ᵉ art coréen, l’enfance et la pression sociale l’est tout autant.  C’est d’ailleurs le sujet du long-métrage de Kim Da-min (김다민), FAQ (막걸리가 알려줄거야) qui aborde à travers le regard d’une petite fille la pression sociale mise sur les enfants dans un système éducatif incompressible, avec des parents toujours plus compétitifs qui poussent dès le plus jeune âge leurs enfants vers les études et l’excellence. Alors que son emploi du temps est éprouvant avec sept cours du soir différents, Dong-chun se retrouve transportée dans un monde avec des amis imaginaires et du makgeolli qu’elle a fait elle-même qui lui parle en morse. Un langage qu’elle n’arrive pas à décoder jusqu’à ce que ses cours de persan lui permettent de comprendre que le makgeolli lui parle en farsi. Cette aventure l’amène à rencontrer son oncle qui rejette la norme et qui se heurte à la vision de sa mère. Attachée à son makgeolli qui l’accompagne, Dong-Chun part à l’aventure avec lui et essaie de comprendre qui elle est et le monde dans lequel elle vit avec les autres enfants autour d’elle. Le film laisse les spectateurs avec beaucoup de questions, notamment avec une fin assez cryptique, mais pas moins amusante avec des enfants qui, comme elle, portent leur makgeolli et tombent dans une cuve, comme s’ils avaient été libérés de leur carcan. 

Enfin, pour sa clôture, le FFCP a décidé de nous transporter dans un univers diamétralement opposé de son film proposé lors de l’ouverture. Pour complimenter la froideur de l’automne qui s’installe tranquillement, nous nous sommes envolés pour Sokcho entre la mer du Japon et les amas de neige dans les rues avec une avant-première d’un film sortant le 8 janvier 2025. Hiver à Sokcho (속초에서의 겨울), réalisé par Koya Kamura et fondé sur le roman éponyme d’Elisa Shua Dusapin, nous parle de Soo-ha (수하) qui vit tranquillement entre son travail dans un petit hôtel local et ses visites au marché pour rendre visite à sa mère vendant des poissons fraîchement attrapés au large de la ville. La tranquillité vacille lorsqu’un français débarque, la ramenant à ses racines. Elle qui n’a jamais connu son père, un homme français dont elle ne connaît même pas le nom. Si le film n’a sans doute pas été l’un des favoris de la semaine, il a permis de retrouver du calme après des jours intenses que l’on aura hâte de vivre à nouveau lors de la 20ᵉ édition du Festival du film coréen l’année prochaine qui se déroulera toujours sur cette dernière semaine d’octobre.

Crédits : Festival du film coréen à Paris (FFCP)

Publication : 12/01/25

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